La peur, une arme
Annexe : Interview de Luc Ferry
- Nous connaissons les effets négatifs de la peur. Mais peut-on, comme George Sorel qui a exposé des aspects positifs de la violence, parler d’une peur aux effets positifs ?
- George Sorel était un anarchiste, mouvement qui, à son époque, justifiait la peur. Par exemple, les anarchistes russes après Bakounine appelaient "La propagande par le fait": faire peur aux autres pour faire bouger la société et provoquer une prise de conscience efficace. Dans ce cadre, la peur semble bénéfique du point de vue de celui qui l’exerce, tout comme pour d’autres types de peur. Aussi, d’un aspect biologique, la peur est, selon Darwin, ce qui permet de nous préserver du danger et avancer. Mais il ne faut pas oublier que la peur, dans la philosophie des sages grecs, nous enferme et nous aveugle ce qui présente des aspects négatifs.
- Comment a évolué la peur au cours de l’Histoire ?
- La peur est l’une des "passions démocratiques" dont parlait Tocqueville comme la colère, l’amour ou la jalousie. Le changement opéré au XXe siècle est l’inauguration d’une époque moderne par la Grande Guerre de 1914, par la boucherie. Le rapport à la vie humaine, individuelle, et à la mort a changé, comme le montre Céline dans Voyage au bout de la nuit. Ce massacre de masse a ouvert la voie à d’autres désastres comme la Seconde Guerre mondiale et ses 50 millions de morts. Le traumatisme est européen.
- Mais dans des conflits mondiaux ou dans les génocides du XXe siècle, doit-on dissocier les sentiments de peur et d’horreur ?
- Ces sentiments sont inévitablement liés pour les familles des victimes dans les sociétés modernes ou la mort paraît terrifiante. La mort religieuse, considérée comme soulageante, est devenue plus athée, scientifique et angoissante avec le progrès technique et les massacres du XXe siècle. Le terrorisme et la guerre asymétrique exploitent ces faiblesses humaines pour confronter violemment des sociétés à la peur avec un nombre relativement faible de moyens et victimes.
- Quand la peur est utilisée par les terroristes ou dans le cadre d’une guerre asymétrique, elle vise à s’exprimer. Mais le terme même d’asymétrique regroupe des ennemis variés, et pourrait remettre en cause la finalité de leur peur, notamment sur des conflits territoriaux avec une armée terroriste en Irak. Cette peur ne vise-t-elle donc pas à agir voire à combattre ?
- C’est d’abord une guerre pour se faire entendre. C’est aussi vrai qu’elle vise à agir car les terroristes comprennent que la peur peut changer de camp. En 1962, à la fin des événements d’Algérie, les policiers et CRS français frappaient des Algériens dans les rues, en pleines émeutes, les terrorisant. Aujourd’hui, la police et l’autorité française ont peur des djihadistes revenant d’Afrique du Nord, de Syrie, d’Irak. Tout le monde peut utiliser la peur.
- Finalement, quelle forme de peur marquera le plus le XXIe siècle ?
- La peur pour s’exprimer va croître car le conflit de valeurs opposées mène au "choc des civilisations" entre religions, politiques et nations.
Annexe 2 : Vidéo d'une victime de l'Obusite
